Sortir de la cage mentale de l’âgisme

Anita Groener, Centre culturel irlandais de Paris

artiste : Anita Groener, Centre culturel irlandais de Paris

Quelle place pour les quinquagénaires ? Les entreprises ne veulent pas les embaucher, mais la durée du travail s'allonge. Comment déjouer le piège de rôles trop stéréotypés, et d'une vision trop étroite de la place des seniors et des jeunes? Les quinquagénaires seraient trop vieux, et les vingtenaires trop jeunes. Cela nous laisse une marge très étroite, entre trente ans et cinquante ans, de seulement vingt ans pour “réussir” notre vie professionnelle?
Derrière l’enjeu est la confiance. Comment faire confiance à l’autre, alors qu’il est si différent de moi?

Shadow comex, mentorat inversé, binôme dirigeant-talent… Ces dispositifs inventés par les entreprises pour « donner du pouvoir à la jeunesse » se sont, peu ou prou, soldés par autant d'échecs. Il semble claire que les seniors cadres dirigeants ont du mal à laisser la place aux jeunes. 

« Au départ, on est super heureux et fier d'être choisi mais, en réalité, on ne sert à rien et on a aucun pouvoir », tacle un jeune loup déçu. (source Les Échos 17/02/2023). Les seniors cadres dirigeants ne veulent pas laisser la place aux jeunes.Pourtant, en entreprise aujourd’hui, les vieux n’ont plus la cote : au bureau, il n’y en a plus que pour les jeunes. Seule exception : les postes de management que l’on réserve aux vieux sages, sous prétexte de transmettre leur expérience accumulée à la jeune génération. Cette forme d’âgisme peut être néfaste pour l’entreprise, en la privant de personnes compétentes à des postes où leur expertise est nécessaire. Et si on cessait de considérer les salariés en fonction de leur âge ?

Pourtant, en entreprise aujourd’hui, les vieux n’ont plus la cote : elles préfèrent embaucher des jeunes. Seule exception : les postes de management que l’on réserve aux vieux sages, sous prétexte de transmettre leur expérience accumulée à la jeune génération. 
Comment transformer la croyance dans l’incapacité des quinquagénaires à développer encore du potentiel et de la créativité ? 

Autrefois, la jeunesse était synonyme d’immaturité et de manque d’expérience. Aujourd’hui, quoi que l’on fasse, mieux vaut le faire jeune. Avant, il fallait s’excuser d’être trop jeune pour occuper une fonction ; il faut désormais s’effacer dès lors que l’on est trop vieux pour son métier. Mais jusqu’où peut-on avancer l’âge limite à partir duquel soit l’on a « réussi » sa vie, soit l’on est prié de tirer sa révérence ? Assiste-t-on à une dévaluation de l’expérience contre la compétence, notamment technique, qui pourrait s’acquérir à tout âge ? (Je me suis largement inspirée d’un article publié sur : Philonomist.com)

Si l’on prend au sérieux ce constat, deux solutions s’offrent à nous : guérir de notre addiction à la nouveauté ou bien remédier à notre croyance dans l’incapacité des vieux à proposer un regard neuf. Pour ce faire, de nombreux clichés sur le rôle des anciens dans la société restent à déconstruire.

Manager, chômeur et quelle autre piste ?

En réalité, tous les seniors ne sont pas écartés du travail, mais ils semblent cantonnés à une seule position : celle du manager. C’était déjà le cas dans l’Antiquité ! Dans son essai sur la vieillesse (De Senectute), Cicéron critique ses contemporains qui refusent d’intégrer les plus âgés à la vie économique : « ils font penser aux gens qui disent que le pilote ne fait rien quand on navigue, alors que certains grimpent aux mâts, que d’autres courent sur le pont, que d’autres curent le fond de cale : lui, le gouvernail en main, il est tranquillement assis à la poupe, sans rien faire de ce que font les autres. Mais ce qu’il fait est beaucoup plus important ». Selon Cicéron, les vieux ne s’agitent pas sur le bateau mais occupent une place clé : celle du pilote.

Pourtant, la capacité à gouverner, que l’on attribue volontiers aux plus âgés, est une qualité qui les limite dans leurs fonctions. Prestigieuse, accompagnée d’un meilleur salaire, et pourtant insatisfaisante, car sur un bateau, il n’y a qu’un seul capitaine, pour des dizaines de matelots. Que faire alors d’un senior qui ne pilote pas le navire ? En voulant sauver la participation des plus âgés à la vie économique, Cicéron les a peut-être contraints à n’occuper qu’un seul rôle, qui oblige tous ceux qui ne peuvent l’occuper… à quitter le navire.

Culte de l’ascension professionnelle

Non seulement les plus âgés semblent enfermés dans la nécessité que leur carrière soit ascendante et qu’ils deviennent capitaines, mais ils sont également prisonniers du cliché du « grand sage ». On considère traditionnellement que les plus âgés sont dépositaires du savoir et des traditions. Dans l’Iliade, Agamemnon, roi de Mycènes, dit à Nestor, roi de Pylos : « Vieillard, tu as dit sagement et bien ». Nestor n’est plus aussi habile au combat que les plus jeunes, mais il est toujours écouté et respecté, parce que sa parole est supposée sage. Il semble que les plus âgés doivent se transformer en conseillers ou en experts pour garder leur place dans une équipe. On n’exige d’eux ni l’inventivité, ni l’enthousiasme, ni l’endurance : de la sagesse et de l’expérience, sinon rien. Mais tout s’apprend-il avec l’âge ? Le jeune insouciant devient-il nécessairement un vieux sage ?

Une dernière voie s’offre enfin aux anciens : devenir de généreux bienfaiteurs. Car si les seniors ne semblent pas les bienvenus au travail, ils restent les détenteurs majoritaires du capital. C’est pourquoi l’entrepreneur daigne encore s’adresser aux vieux pour leur demander de l’argent lors des levées de fonds.

Le droit de se désister : “Non, merci, j’ai mieux à faire!

Dirigeant, vieux sage ou donateur : si les seniors sont tolérés dans les affaires lorsqu’ils remplissent l’une de ces missions, rappelons qu’elles ne sont pas données à tout le monde. Que faire de ses dernières années de carrière lorsque l’on n’est ni patron, ni richissime, ni doué pour adopter la posture du mentor ? Il ne s’agit pas ici de défendre une restauration de l’autorité traditionnelle, et d’interdire aux jeunes d’être dirigeants, mais plutôt de se demander si les missions que l’on remplit devraient toujours dépendre de notre âge. Devient-on systématiquement un bon manager parce que l’on vieillit ? Sûrement pas ! Or la dynamique traditionnelle des carrières le laisse supposer, dans la mesure où dans une entreprise, il faut soit monter – devenir manager, encadrer une équipe – soit partir.

En réalité, chacun, au travail, souffre d’une vision nécessairement ascendante de la carrière. L’opting out, soit le fait de refuser une promotion ou de ne pas candidater pour une fonction exécutive, est une remise en cause de cette supposée logique : tout le monde ne rêve pas d’être manager, il n’y a pas d’obligation à accepter une promotion. On pourrait retrouver le plaisir du travail bien fait, la satisfaction de détenir une expertise pour elle-même, et non pas acquérir un savoir de manière utilitaire dans l’unique but d’obtenir une promotion justifiée par cette expertise – pour finalement ne plus en faire usage lorsque l’on devient manager !

S’émerveiller des réalisations des jeunes parce qu’ils sont jeunes, c’est diminuer le prix de celles des vieux et participer à l’obligation de réussir jeune ou mourir en silence. Et si l’on avait encore le droit de tout faire à soixante ans, y compris de ne pas avoir d’aspiration à diriger une équipe ?

La possibilité de se réinventer

Si l’on souhaite tranquillement décroître, profiter davantage de son temps libre, en faire moins et mieux? Ou encore apprendre de nouvelles compétences, changer de voie, réinventer sa vie, c’est largement possible. Nous vivons longtemps, l’espérance de vie en bonne santé a augmenté: 67 ans pour les femmes et 65,6 ans pour les hommes et nous allons travailler plus longtemps de toute façon.

Il est devenu rarissime de faire toute sa carrière dans la même organisation. Cela deviendra banal d’avoir eu plusieurs vies professionnelles. Les coachs par exemple sont souvent dans leur 2e, 3e ou 4e reconversion professionnelle. Se faire accompagner facilite la réorientation de son parcours et permet déployer son potentiel à quarante ou cinquante ans.

Transformer les liens transgénérationnels en entreprise

Plutôt que d’en faire un sujet tabou, honteux, de discorde ou clivant, la question de l’âge peut être un sujet de coopération intergénérationnelle dans l’entreprise.

Dans une organisation très clivée où il y avait structurellement 2 groupes bien distincts, nous avons été appelées pour faciliter les relations de travails qui se tendaient régulièrement: le groupes des ingénieurs experts autour de la cinquantaine. Et le groupes des fonctions support, plutôt composé de personnes jeunes (dans la trentaine). Les uns ne se sentaient pas respectées par les premiers.

Nous avons animé des groupes de co-coaching pour permettre à chacun de prendre conscience des talents et des difficultés de l’autre. Beaucoup de préjugées ont été déconstruits dans ces ateliers, et des feedbacks nourrissants ont été donnés et reçus. Cela a donné aux uns et aux autres l’envie de mieux se connaître, et même de co-construire de nouveaux projets. Finalement, chacun sortait en ayant moins peur des autres, moins d’idées toutes faites. Cela a aussi permis a chacun de mieux se connaître lui/elle-même dans sa relation à l’autre. Les catégorisations en générations X, Y et Z sont intéressantes (comme les profils de personnalité), mais ne permettent pas de trouver des solutions collaboratives. Ce qui facilite le lien, la collaboration au-délà des étiquettes d’âge, se statut et de genre, c’est de créer des relations authentiques et de confiance. A partir de là, les clivages liés à nos préjugés s’effacent.

Dans cette entreprise il est devenu possible de construire une place pour chacun où la complémentarité des expériences a pour effet de mieux vivre et travailler ensemble. 

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