Avril rime avec Facile

L'art d'agir sans effort by Flore Ascencio

aquarelle de Flore Ascencio

Je m'explique : nous avons été habitués à penser que pour atteindre notre but, réussir, être heureux(se), il nous manque quelque chose. Il faudrait donc en faire "Plus". Plus d'efforts, plus de volonté, plus d'énergie...
Or c'est faux.
Le plus souvent, pour trouver l'efficacité et la fluidité sources de sérénité, il s'agit plutôt d'en faire moins ... de défaire que de faire, de lâcher que de forcer, de laisser faire que de contrôler.
Avril rime avec difficile, fragile, inutile parce nous avons une liste longue comme le bras de choses à faire, de charges, qui sont autant de trucs en "Trop" qui nous polluent, nous entravent et nous empêchent d'être le ou la professionnel(le) que nous avons envie d'être

Dans ce contexte de turbulences structurelles et de désengagement par rapport au travail, les managers sont censés donner du sens, remotiver leur équipe, attirer et recruter des talents tout en définissant des plans d’action pour diminuer l’empreinte carbone. Et quoi d’autre encore? Leur charge ne fait que s’accroître.

Une étude menée, entre 2020 et 2022, par le Learning Lab Human Change, en collaboration avec Cornerstone et Julhiet Sterwen, auprès de 2 600 personnes (et complétée par la suite par 53 entretiens qualitatifs), a permis d’identifier sept causes de fatigue et de mal-être chez les managers (source: Harvard Business Review 20 février 2023.

Trop d’émotions : La charge émotionnelle est forte dans les entreprises et les organisations publiques en ce moment. Le risque est double pour qui n’y est pas préparé : de se faire “polluer” par les émotions des autres ou imbiber comme une éponge, ou alors de se construire une armure anti-émotions pour s’en protéger par le déni ou l’inattention. Ce qui serait dommageable car l’écoute et l’attention sont de puissants leviers de motivation. Faire sentir à votre interlocuteur qu’il/elle est important(e) pour vous est probablement la compétence relationnelle la plus essentielle aujourd’hui.

Consommer moins d’énergie émotionnelle : la posture durable serait d’apprendre à se laisser traverser par l’émotion de l’autre sans la garder en soi, ni la nier ou repousser. Pour cela, s’entraîner à s’interroger sur ses propres émotions, à ce que l’on sent dans son corps, à identifier ses ressentis, à les nommer est absolument INDISPENSABLE pour piloter sa vie professionnelle de façon impactante et écologique pour soi et pour les autres.

Trop d’attention : Avec le numérique, notre attention est très sollicitée. Le télétravail nous permet de réaliser plusieurs tâches en même temps (mail et visio, par exemple), c’est génial à première vue, mais nuisible à la longue, car cela augmente la charge attentionnelle. Cela nous donne une illusion d’efficacité mais nous épuise (cette désagréable impression que nos yeux vont éclater en fin de journée … ).

En faire moins, c’est l’antitode : s’astreindre à ne faire qu’une chose à la fois, même si on s’ennuie ou qu’on a du travail en retard à rattraper. C’est en lien avec l’importance cruciale de l’écoute et de l’attention. Vous allez gagner du temps à devenir monochronique et ainsi prendre davantage soin de vous-même. Faire plusieurs choses en même temps, c’est se maltraiter. C’est une ex-polychronique qui vous le dit! :)

Trop d’informations : La charge informationnelle, c’est le nombre d’informations que reçoit une personne chaque jour, et elle augmente d’année en année (mails, chats, dossiers partagés, applications thématisées, etc) dont l’utilité est très variable. Cela peut nous faire perdre beaucoup de temps et d’énergie.

Lâcher le besoin de tout savoir, d’être au courant de tout ce qui se passe dans votre organisation fait partie de la solution. Identifier ses priorités et déléguer (ou abandonner) le reste est devenu vital. Dans notre nouveau livre “L’art d’agir sans effort - pour en finir avec le volontarisme toxique”, nous citons une dirigeante qui reconnaît ne lire que certains mails, et ne jamais répondre aux autres, pour concentrer toute son attention à l’écoute de ses pairs et collaborateurs.

Trop de rôles : Plus l’organisation se complexifie, plus il est demandé aux dirigeants, managers et chefs de projets de revêtir des rôles différents en fonction des projets ou des équipes. Car un management de qualité suppose de savoir faire du “sur-mesure”, de s’adapter à la personnalité et aux besoins de chacun.

Mais le manager n’est pas pour autant responsable de leur bonheur. Son rôle fondamental, c’est de structurer son organisation de façon équitable, claire et explicite afin de favoriser un climat de sécurité psychologique pour les collaborateurs. Une fois ce cadre posé, il s’agit de le maintenir, en souplesse et la façon la plus juste possible, et de donner du feedbacks aux personnes pour leur permettre de continuer d’apprendre et se développer. Point.

Trop de boulot. La quantité de travail à réaliser évaluée par le volume horaire a beaucoup augmenté dans les secteurs qui n’arrivent pas à recruter. Oser dire non et poser des limites est vital. Pour cela, certains managers ont besoin d’accompagnement pour apprendre à lâcher prise, à déléguer et à prioriser leurs tâches. Une grosse part du travail de coaching sera d’oser l’assumer auprès de leur hiérarchie : apprendre à poser des limites, tranquillement.

Trop d’efforts. Alors que la charge de travail est quantitative, la charge cognitive est qualitative. Elle représente les efforts déployés pour réaliser une tâche dans un contexte spécifique. Comme évoqué en introduction, ce rapport s’inverse au bout d’un moment, c’est une loi systémique que les taoïstes avaient découvert il y a 3000 ans déjà : plus je fais d’effort pour atteindre un résultat, moins je suis efficace. Plus je pousse, moins cela avance. Plus je veut aller vite, moins le résultat est durable. Car mes effort ont généré et/ou renforcé les résistances du système (entourage, écosystème) qui vont mettre mon travail et mes efforts acharnés en échec.

Le contrepied : apprendre l’attente patiente du bon moment pour agir, celui où le potentiel de situation sera la plus favorable et mon action la plus facile. Un petit effet de levier pour un grand résultat.

Trop de choses à penser. Il est fréquent que sous le vocable « charge mentale » soit associé une des 6 tâches évoquées précédemment. Or la définition de la charge mentale, c’est l’organisation et la programmation des tâches pour réaliser son travail. Ces différentes charges sont liées entre elles et s’autoalimentent. C’est dans une logique systémique qu’il faut donc les identifier et démêler la pelote de fils. Y passer le temps nécessaire est un bon investissement.

Sinon, les conséquences possibles sont connues : diminution de la performance et de la motivation, augmentation des erreurs et des coûts cachés…

Faire rimer avril avec facile, agile et utile

Notre approche de l’agir impactant car sans effort s’appuie sur le wuwei (non-agir taoïste) mais aussi sur la notion de Care * qui rappelle que prendre soin de la planète commence par soi. L’humain n’est pas distinct de la nature contrairement au postulat de Descartes au 16e siècle. Nous sommes la nature, C’est en prenant conscience de son propre corps, en chérissant son enveloppe corporelle que l’on pratique l’écologie de soi et des autres au quotidien.

Un manager qui n’est pas connecté à son corps, à ses ressentis physiques, à ses émotions ne peut pas prendre soin de son bien-être corporel et psychique. Ce manager pourra difficilement prendre soin de son équipe et de la sécurité de chacun de ses collaborateurs.

S’appuyer sur le care c’est aligner son comportement managérial avec ses propres besoins, et non plus jouer un rôle d’homme ou de femme parfait. Finalement, il s’agit de faire évoluer la notion d’exemplarité (culpabilisante) au profit de l’authenticité. Incarner dans son comportement du quotidien, l’écoute et l’attention, c’est donner du sens à son action et à son équipe. Le care des personnes et de la planète est peut-être bien le seul sens qui fasse encore sens aujourd’hui.

Moins l’action a nécessité d’effort sur soi, sur l’autre, sur la nature, plus elle a de chance de produire un impact durable.

  • théorisée, en 1982, par Carol Gilligan (« In a different voice: psychological theory and women’s development« , Harvard University Press). Elle est aujourd’hui développée en philosophie (voir les travaux de Cynthia Fleury, « Le soin est un humanisme », en psychologie et en sciences médicales.

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Atelier de Supervision pour les coachs 28 mars 2023 à 18h30