Pratiquer l’agir sans effort au travail
Alors qu'on n'a jamais eu autant de temps libre depuis 2000 ans, nous ne nous sommes jamais sentis aussi débordés. C'st culturel : nous vivons dans une culture qui valorise le volontarisme, le "yes you can!"
Il y a même une idéologie d l'effort qui devient toxique : il faudrait, dès notre plus jeune âge, "avoir le goût de l'effort", "se donner du mal", sans parler de "souffrir pour être belle"... Au travail on valorise les laborieux, ceux qui travaille beaucoup et tard le soir. Celui ou celle qui part tôt ou semble avoir du temps est suspecté de paresse, de procrastination, de manque de volonté...Etre maître de son temps, prendre le temps, laisser du vide dans son agenda pour favoriser la créativité n'est pas une compétence reconnue...
Or, dans le meilleur des cas, nous sommes productifs 6h par jour. Terminer chaque soir en nous sentant fatigué, avec le besoin incompressible de prendre des vacances, n'est pas optimal du tout. Cela use le corps et le moral.
Personne n'aura ce regret à la fin de sa fin : j’aurais dû passer plus de temps en réunion ! J'aurai dû envoyer plus de mails!
J’observe que la plupart des personnes que j’accompagne sont coupées de leurs ressentis physiques et émotionnels: le mental contrôle le corps, la volonté impose ses exigences, et le corps somatise (lombalgies, épaules tendues, migraines fréquentes, insomnies, respiration peu fluide voire tendance à l’apnée…). Prendre du temps pour soi, se donner du temps pour se connecter à son intériorité est impossible pour certaines personnes : cela peut les confronter à la peur du vide. et générer de l’angoisse.
Savoir équilibrer son effort, et doser son énergie avec justesse est un apprentissage initié par les taoïstes il y a 3000 ans. Il est plus que jamais pertinent, c’est l’art d’agir sans effort. Pour les taoïstes, le but de la vie, c’est … de vivre et de jouir de la vie le plus longtemps possible. IL suggèrent donc de s’économiser pour durer longtemps et cette longévité dans le bien-être suppose de, dépenser le moins d’énergie possible.
Pour y parvenir, il faut suivre le Tao, qui veut dire le « fonctionnement des choses », de la nature qui ne (se) force jamais: les plantes et les animaux ne font jamais d’effort inutile. Quant à l’eau, symbole d’efficacité pour les taoÏstes, elle atteint toujours sa destination en suivant la pente, en contournant les obstacles et sans effort.
Le fonctionnement des choses (Tao) est changement permanent car c’est une alternance équilibrée de 2 énergies complémentaires :
- l’énergie yin centripète, orientée vers l’intérieur (celle du repos, de l’immobilité, du silence)
- l’énergie yang centrifuge, orientée vers l’extérieur (celle de l’action, du mouvement, de la parole)
Tout est à la fois yin ET yang. Par exemple la respiration (yin inspiration, yang expiration), une journée de 24 heures, l’équilibre du vélo, et nos relations…
Mais l’humain n’étant pas aussi “sage” que la faune, la flore et les minéraux, il s’écarte sans cesse du fonctionnement naturel des choses, et tombe dans deux types d’excès:
- l’excès de yin : je n’ose pas dire ou faire, je procrastine, je me sens impuissant, frustré
- l’excès de yang : j’en fais trop, je porte trop, je m’épuise, ça m’énerve
Pourtant il est possible de pratiquer l’agir sans effort.
1er axe : rééquilibrer yin et yang en soi :
Il s’agit d’apprendre à écouter finement tous ces ressentis physiques et émotionnels pour développer son intuition, qui est comme une boussole intérieure à “checker” tout au long d’une journée de travail. Cela permet de devenir plus stratège de son écologie personnelle, de doser sa consommation d’énergie et de temps, en conscience.
Les praticiens d’arts martiaux s’inspirent de la nature, par exemple du crocodile :
1) commencer la journée par un temps d’immobilité, de non-action : le crocodile fait mine de dormir et se transforme en souche de bois pour économiser son effort (méditation immobile pour préparer l’action)
2) soudain bondir juste au bon moment (lorsque la proie, venue boire à la rivière, est tout près du crocodile) Un très court temps d’action, très efficace, minimaliste yang FAJING explosion de force).
Dans le monde professionnel, l’agir sans effort peut donc prendre cette forme :
-Assumer des moments yin de non-action décidée, stratégique : je prends davantage conscience de ma respiration (respirer en conscience pendant 1 minute à chaque heure ou toutes les 3 heures et visualiser le chemin intérieur de l’air dans toutes les parties de son corps), je prévois des temps de repos yin dans ma journée, je réfléchis davantage avant d’agir, je prends du recul en m’appuyant plus souvent sur le dossier de ma chaise en levant les yeux de l’écran, je reporte une action si je ne me sens pas prêt, en déplacement, je pars la veille pour me reposer avant d’animer une réunion/formation ( jamais de réveil avant 6h30 du matin!).
-Valoriser l’action facile : Cela commence par apprendre à oser dire « non » s’il y a trop d’effort et à transformer sa posture : écouter, poser des questions plutôt que de faire de gros efforts pour argumenter, pousser, convaincre. L’action minimaliste consiste à donner un feedback plutôt que d’endurer un comportement qui vous agace. L’action facile c’est aussi de ne parler qu’au bon moment. Enfin et surtout, agir sans effort suppose d’oser demander de l’aide, d’envisager le travail comme une coconstruction car faire les choses ensemble (plutôt que tout porter tout seul) demande beaucoup moins d’efforts et d’anxiété. Au contraire, cela génère plaisir et créativité quand les rôles et responsabilités sont bien définis et acceptés.
2e axe: rééquilibrer yin et yang dans ses relations : en prenant du recul, on s’aperçoit souvent qu’il n’y a pas assez de réciprocité dans les relations qui nous préoccupent : il existe un déséquilibre entre l’énergie yin du RECEVOIR et l’énergie YANG du DONNER qui génère de la frustration et peut endommager la relation si cela dure trop longtemps.
- en excès de yang = je n’ai pas appris à recevoir (je ne peux pa prendre le risque de demander de peur d’être rejeté) alors je fais tout tout seul, je ne m’appuie pas assez sur l’autre. A l’extrême, je lui en veux de profiter de moi
- en excès de yin = je n’ose pas prendre d’initiative (de peur d’être illégitime, démasqué) alors je reste en retrait, je ne prend pas ma juste place. A l’extrême, j’en accuse les autres.
Pour réévaluer une relation déséquilibrée, je vous propose de faire cette petite expérience. Pensez à une relation prof compliquée et posez-vous ces 4 questions (inspirées du travail de :
- Dans cette relation qu’est ce que je donne?
- Comment je le donne ?
- Dans cette relation qu’est ce que je reçois ?
- Comment je le reçois ?
Le manager minimaliste est celui (ou celle) qui économise son temps et cultive la patience et l'intuition du bon moment pour avoir un maximum d’impact. Ce n’est pas un paresseux, mais un stratège bien connecté à son intuition et qui peut lui faire confiance (rappel, l’intuition = corps + émotions) et au sens de sa mission. C’est d’ailleurs le premier à protéger son temps mais aussi celui des autres. Le temps est un bien précieux alors savoir le maîtriser pour oser laisser du vide dans son agenda est une compétence puissante qui favorise la créativité individuelle mais aussi celle du collectif car le manager minimaliste laisse beaucoup d’espace à son équipe. Cette posture est écologique car elle réveille la motivation intrinsèque des coéquipiers. L’agir sans effort incarne une façon d’être au monde qui donne envie de co-construire avec vous. Avec l’art d’agir sans effort vous allez apprendre à en faire MOINS pour avoir PLUS d’impact.