Manager avec le non-agir

Ah je n’en peux plus de les pousser, de les tirer, de m’épuiser à essayer de les convaincre d’avancer!” gémit Céline directrice des Opérations dans le secteur public, en parlant de ses équipes.
Le non-agir est une posture sur laquelle j'ai centré ma recherche de coach et de superviseure de coach car j’ai longtemps vécu moi-même dans la croyance qu’il me fallait faire de gros efforts, que rien de valeur ne pouvait arriver facilement. Je m’étais aussi organisée pour être souvent débordé et toujours dans une forme de suractivité. Aujourd’hui, je mets mes apprentissages sur le non-agir wuwei au service de mes clients et clientes qui sont souvent eux-mêmes débordés, suractifs, et un peu usés par le sentiment que leurs efforts ne seront jamais suffisants.

Laozi, le père du taoïsme antique et auteur mythique du Dao De Jing (“Classique du fonctionnement des choses et de la vertu”) a mis en lumière la puissance du “non-agir” au sens d’agir sans efforts, de ne pas forcer les choses. En effet, c’est la diminution de la crispation vers le but qui augmente la possibilité de l’atteindre. “Sur la pointe des pieds, on ne se tient pas debout” dite le Dao De Jing. On ne peut pas « faire pousser les poireaux en leur tirant dessus » écrit Mengzi, un autre philosophe taoïste. L’approche paradoxale de l’école de Palo Alto, 3000 ans plus tard, ne dit pas autre chose : plus je pousse au changement, plus je crée des “résistances” qui empêchent cette transformation d’advenir. Cela met en perspective le volontarisme de nombreux dirigeants, leur envie d’aller plus vite ou de pousser/tirer les gens vers un but.

Agir par le non-agir, c’est l’art d’agir sans effort. La calligraphie chinoise  représente cette idée de “lâcher-prise” par un double idéogramme 无 为 : wù wèi. Le  tourne autour de l’idée d’une absence, d’un “vide créatif” d’où peuvent surgir de nombreuses possibilités. Il sert, par exemple, à désigner le défrichage par brûlis, le fait de mettre le feu à un terrain pour le rendre cultivable. Le wèi représente la main, signe d’action. Or le fonctionnement des choses (Tao) se définit par le changement permanent. Donc “en n’agissant pas, il n’y a rien qui ne se fasse”. Autrement dit, puisque tout change sans cesse, il est inutile de forcer/insister pour que les choses adviennent. Il est souvent plus efficace d’observer attentivement et patiemment le moment où les choses vont se faire naturellement (le potentiel de situation xingshi est optimal). Ou bien d’attendre le bon moment pour initier une action minimale juste et pertinente qui aura le maximum d’impact. Le véritable non-agir est stratégique, jamais synonyme d’inaction paresseuse, négligente ou lâche, de procrastination.

L’art d’agir sans effort permet d’obtenir facilement que les choses soient faites et de réduire au minimum l'énergie dépensée pour préserver ses forces et pouvoir ainsi les consacrer à des activités créatives et plus stratégiques. Manager avec davantage de fluidité et de sérénité, ça vous fait envie?

En management, le non-agir a de fortes affinités avec la délégation. Bien souvent nous sur-agissons par crainte d’échouer et d’être jugé, et nous en faisons trop. Apprendre à agir juste, de façon pertinente et minimale permet d’avoir davantage d’impact. Pour cela, le manager développe ses compétences relationnelles. Il/elle sait accueillir, écouter, observer et donner des feedbacks engageants et nourrissants. C’est ce que j’appelle la présence compétente. Présence vient du latin praesentia qui signifie aussi “efficacité” et “puissance” parce qu’elle parle de posture et de juste autorité au sens propre d’être auteur.e de sa vie et de ses actes. Par sa seule présence, la sécurité et la bienveillance qu’elle génère, le/la manager permets à son collaborateur de grandir.

J’accompagne les managers et dirigeants à développer cette présence compétente qui permet d’accéder au fameux non-agir. Ainsi Céline peut dire, après quelques séances de coaching : “Je me connais davantage, j’écoute les signaux que m’envoie mon corps et je sais que je peux faire confiance à mes intuitions. Ca me donne une force incroyable! Je ne suis plus mal à l’aise quand il y a un silence en entretien individuel. Je sais être en ouverture, établir une connexion forte à l’autre et j’ose dire ce que je ressens.” En réunion de codir, son Président a pu observer que Céline prend désormais toute sa place et “assume son leadership” comme il dit. Il peut maintenant s’appuyer sur elle et lui déléguer davantage de sujets sans crainte qu’elle ne se sente débordée.

Sur le sujet de la délégation, Céline a aussi découvert quelque chose: “Avant je faisais à la place de mes collaborateurs. Maintenant j’attends, je leur laisse de la place et je m’aperçois que chaque fois, quelqu’un prend une initiative”. C’est encore un principe taoïste, le vide attire le plein. Céline utilise maintenant en conscience son non-agir.

L’art d’agir sans effort suppose d’accepter ses propres limites : je peux piloter ma barque, mais je ne peux pas contrôler la rivière. Si tel Atlas, j’ai l’impression de porter le monde sur mes épaules, je m’accable en me croyant responsable de tout, en pensant pouvoir contrôler ce qui advient. J’oublie alors que les événements résultent d’un ensemble de chaînes de causes à effets que je ne maîtrise pas, et que mes propres capacités sont très relatives. Du coup je m’épuise en vaines conjectures : ai-je fait ce qu’il fallait ? Que va-t-on penser de moi ? Et si je ne prends pas les choses en mains, qui le fera ?

Notre sur-agir est lié à notre volonté de contrôle qui est illusoire. Le lâcher-prise que m’autorise la posture de non-agir est la manière la plus adéquate d’aller avec le courant du “fonctionnement des choses” ou Tao, et d’être traversée par lui. Pourvu que l’on cesse de lutter contre ce qui est (nager à contre-courant), de vouloir ce qui n’est plus, d’attendre ce qui n’est pas encore. La détente du corps, l’apaisement de l’esprit, le réaménagement de notre rapport à la réalité, moins en tension, ouvrent à une nouvelle manière de vivre, une curiosité, une créativité, un enthousiasme décuplés. C’est une réconciliation avec soi-même.

Avez-vous envie de développer l’art d’agir sans effort ? Un petit quizz pour savoir si cela vous conviendrait :

  • Vous courez plusieurs lièvres à la fois

  • Plus de 3 pages sont ouvertes sur votre ordinateur

  • Vous ne vous sentez pas toujours en présence / bien connecté.e à votre interlocuteur

  • Vous vous sentez souvent stressé.e par un trop plein de choses à faire

  • Vous préparez beaucoup trop vos présentations pour vous rassurer

  • Il vous arrive souvent de vous ennuyer en réunion

  • Vous avez envie d’apprendre à lâcher prise mais comment?

  • Vous ne parvenez pas à déléguer car ça va plus vite de le faire vous-même

  • Vous voudriez mieux gérer votre temps car vous n’en avez jamais suffisamment

  • Vous pensez que vous pourriez vous faire davantage confiance

  • Le silence vous met mal à l’aise

  • Vous ne célébrez pas vos réussites, vous pensez déjà à la prochaine montagne à gravir

  • Vous n’avez pas toujours la patience d’attendre que les autres prennent des initiatives

  • Vous êtes souvent épuisé.e

Précédent
Précédent

Travail hybride : réinventez l’équipe