La dimension collective d’un burn-out
On sait maintenant que le burn-out est toujours l’expression individuelle d’un dysfonctionnement organisationnel ou managérial. Sa dimension systémique ne fait pas de doute. Autrement dit, la personne n'est pas le "problème".
(Je reprends ici le contenu d’un bon article d’Adrien Chignard psychologue du travail sur le burn-out dans Harvard Business Review)
Dans les équipes de travail, lorsque le quotidien est interrompu par une "décompensation" (terme scientifique des conséquences de l’épuisement professionnel), tous les regards et les attentions sont captés par cet événement. On est alors tenté d’envisager le burn-out comme un phénomène spécifiquement individuel. Or ce sont bien les conditions d’exercice du travail qui génèrent des situations de burn-out lorsqu’elles interfèrent avec des trajectoires de vie et non des problèmes individuels qui viendraient expliquer la souffrance brutale et soudaine d’un salarié.
Le burn-out apparaît comme la conséquence d’une exposition de longue durée à un stress causé par :
un manque d’équité de traitement : contrairement à ce que l’on pense souvent, personne n’est contre les inégalités. Nous sommes plus précisément contre les inégalités injustes. Il nous semble normal que ceux qui font le plus d’efforts soient les plus récompensés mais nous trouvons intolérable que les plus récompensés le soit sur des motifs illégitimes comme le fait d’être ami avec le manager par exemple.
des relations de travail difficiles : le soutien social demeure le premier rempart contre la détresse psychologique en situation de travail. C’est lorsque les relations se dégradent et que des conflits apparaissent que les situations de travail deviennent plus difficiles à vivre.
des conflits éthiques : nous pouvons ressentir des problèmes lorsqu’on nous demande d’agir contrairement à notre définition du bien, du juste, du beau ou du vrai. Il peut s’agir de mensonges par falsification ou par omission, c’est-à-dire que nous savons moralement qu’il est important de partager une information mais que nous la conservons pars devers nous pour de mauvaises raisons
une charge de travail conséquente : c’ est une variable curvilinéaire, c’est-à-dire qu’il existe un trop et un trop peu. Trop de travail épuise et trop peu de travail génère une culpabilité très forte qui peut conduire à des affects dépressifs intenses
un manque de reconnaissance : le stress survient lorsque nous avons l’impression que nos efforts ne sont pas reconnus ou valorisés en retour
un sentiment de contrôle qui s’estompe : nous avons besoin pour être sereins de maîtriser notre environnement. L’exemple typique est le cas de l’attaque de panique durant lequel nous avons l’impression que notre corps et notre esprit nous échappent. Même si ce n’est pas grave, ça peut être très perturbant. Lorsque nous avons le sentiment que notre agenda est dicté par des demandes qui émanent d’un siège lointain, nous dégradons de façon conséquente notre santé mentale.
On a longtemps cru que seule la surcharge de travail provoquait l’épuisement, mais c’était confondre deux paradigmes : la fatigue consécutive à une forte charge et l’épuisement, suite logique d’une forte charge de travail sans avoir produit les résultats escomptés. En effet, l’être humain va connaître des symptômes dépressifs particulièrement intenses lorsqu’il a l'impression qu’il n’y a plus de lien entre l’intensité de ses efforts et les résultats produits par ces derniers.
Il semblerait aujourd’hui que les conflits éthiques soient particulièrement explicatifs de la sévérité de certains épisodes d’épuisement professionnel.
La tendance à chercher dans des conditions uniquement individuelles la responsabilité et les causes de l’épuisement est doublement néfaste :
elle culpabilise l’individu qui a l’impression qu’il a failli et manqué de force
elle empêche le système de questionner ses dysfonctionnements au risque de détériorer la santé physique et mentale du reste de l’équipe.
En effet, si le burn-out est la conséquence d’une exposition de longue durée à des facteurs de stress au travail, alors les autres éléments du système (équipe, collègues de la personne) sont également en danger.
C’est la raison pour laquelle l’arrêt de travail du collègue en épuisement professionnel doit être l’occasion impérative pour le manager et pour l’équipe de travailler en profondeur sur leur mode de fonctionnement.
Avec ceux qui restent : prévenir le burn-out
Concrètement, il s’agit de créer un climat de sécurité psychologique dans l’équipe pour favoriser l’expression des facteurs de stress vécu par chacun, sans jugement, ni culpabilisation, ni risque de représailles. C’est parfois impossible que le manager anime lui/elle-même cette consultation si son comportement contribue (souvent inconsciemment) au stress… Souvent, les RH reçoivent les membres de l’équipe en entretien individuel.
Voici les questions à se poser dans une équipe dont un(e) des membres est en burn-out :
Qu’est-ce qui me donne le sentiment de perdre le contrôle sur le quotidien ?
Qu’est ce qui, dans notre fonctionnement me semble injuste, voire contraire à mes valeurs?
Quelles relations sont difficiles à vivre pour moi ?
ai-je le sentiment de revoir suffisamment de reconnaissance dans mon travail ?
Ai-je le sentiment d’avoir suffisamment d’autonomie ?
Ai-je la possibilité de continuer à apprendre dans mon job ?
Ai-je le sentiment de recevoir suffisamment de soutien de mon manager? De mes collègues?
En travaillant à la fois à limiter les irritants et à augmenter les facteurs déterminants de la santé du bien-être et la performance au travail, on permet au collectif de prendre soin de lui et donc de réduire les probabilités d’extension de l’épuisement professionnel aux autres membres de l’équipe.
Ce faisant, on passe aussi le message à la personne en arrêt de travail qu'elle n'est pas responsable ou coupable de son burn out. Au contraire, sa souffrance sera reconnue car l’organisation et l’équipe auront appris de cette situation douloureuse, ce qui lui permettra de reprendre plus facilement le travail.
Paradoxalement, son burn out aura une “fonction utile” d’alerte dans le système, ce qui peut contribuer à redonner du sens à une personne qui l’a perdu.